L’ADN de Sangaris

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L’armée française n’aurait pu rêver meilleur calendrier. À trois semaines de la fin officielle de l’opération Sangaris, prévue le 31 octobre 2016, un mémorandum interne des Nations unies « fuite » dans la presse. Il revient sur les accusations de viol mettant en cause des troupes internationales sur le territoire centrafricain, et suggère que des victimes « pourraient avoir été financièrement incitées à témoigner ».

Qu’importe que le document porte principalement sur les abus commis par des troupes gabonaises et burundaises. Qu’importe qu’il ne remette pas en cause les accusations concernant les viols sur mineurs dont se seraient rendus coupables des soldats français en bordure du camp de réfugiés Mpoko, à Bangui, la capitale de République centrafricaine. Qu’importe que ces « incitations financières » désignent certainement des aides fournies par des organisations humanitaires. Le doute est semé. Et le ministère de la Défense français a beau jeu de souligner la « légèreté » de l’Unicef, qui a réuni les témoignages accusateurs .

Des doutes, pourtant, il en subsiste peu pour qui se donne la peine de mener l’enquête jusqu’à Boda. À 190 kilomètres de Bangui, la ville déploie son ambiance de petite ville minière. La route qui y mène est plutôt bien entretenue : nous sommes dans la région natale du président-fondateur de la République centrafricaine Barthélémy Boganda et de l’empereur autoproclamé Jean-Bedel Bokassa. L’artère la plus animée est un étroit ruban de terre battue qui remonte du rond-point où se postent les moto-taxis. Là, la station de carburant Total a été reconvertie en bar. À la tombée de la nuit, les creuseurs de diamants quittent leur carré minier pour y consommer en bières leurs éventuelles trouvailles. C’est là-bas, dans un bout de forêt équatoriale, que se trouve la preuve potentielle qu’une atteinte sexuelle sur mineur a été commise par un soldat français.

ELIE À UN AN ET CINQ MOIS. IL A LE TEINT CLAIR. DANS LE VOISINAGE, ON L’APPELLE «LE FRANÇAIS».

La famille Pazoukou habite une maison de briques en terre cuite, à 200 mètres de l’ex-station Total. L’entrée est barrée d’une porte sans serrure. Le jeune Elie* égaie souvent la cour de ses chahuts. Il a un an et cinq mois, et aime envoyer balader la bouillie qu’on lui sert au petit-déjeuner. Il a le teint clair. Dans le voisinage, on l’appelle « le Français ».

« 15 000 francs CFA »

Lorsque les soldats tricolores de la force Sangaris arrivent à Boda en février 2014, ils installent leur base en plein centre-ville. Ils tentent de s’interposer entre groupes anti-balaka – qui se sont érigés en défenseurs des chrétiens de la ville – et groupes « d’autodéfense » musulmans. Les tueries ont alors déjà fait des centaines de victimes.

Noella Pazoukou, l’une des filles de la famille, commence à vendre des tomates aux « Sangaris », sur un petit étal en face de leur base. Ses cheveux tirés en tresses découvrent un visage adolescent. Un jour de l’été 2014, un militaire français la remarque. Grâce à un intermédiaire, un jeune du coin prénommé Alban, il lui glisse quelques mots doux et lui donne rendez-vous un soir à 18h. L’adolescente accepte ses avances. « Il m’a fait entrer dans une petite maison qui se trouve sur leur camp. Nous avons fait l’amour. C’était ma première fois. À la fin, il m’a remis 15 000 francs CFA [23€]. Mais sur la route du retour, des anti-balaka en patrouille me les ont pris » raconte Noella dans sa langue maternelle, le sango, d’une voix hésitante. La jeune femme ne parle pas français – elle a arrêté ses études en primaire. Une méningite contractée à l’âge de sept ans lui a laissé des séquelles : elle a longtemps perdu l’usage de la parole et a toujours des difficultés d’audition. Rencontrée chez elle en octobre 2016, elle livre son récit par bribes, allant et venant sous l’auvent qui sert de cuisine pour entretenir le feu : « Nous nous sommes revus une autre fois, au même endroit. Nous avons eu une autre relation sexuelle. Et puis un jour, il est reparti, avec toute son équipe. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles ».

PROBABLEMENT MINEURE
AU MOMENT DES FAITS

Début octobre 2014, les soldats français stationnés à Boda passent le relais aux casques bleus de la MINUSCA, la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique, et repartent en France. Noella, elle, est rattrapée par la guerre. Avec sa mère et ses sept frères et sœurs, elle doit quitter la maison familiale : « À cause des massacres en ville, on a fui pour aller en brousse. J’étais déjà enceinte. C’est en rentrant chez nous que j’ai dit à ma mère que je ne me sentais pas bien. » Cette dernière – dont le mari est mort alors que Noella était encore enfant – tente de faire vivre la famille en vendant feuilles de koko et chenilles grillées. Lorsque sa fille lui explique qu’elle pense être tombée enceinte d’un soldat français, Solange Pazoukou peine à y croire. Jusqu’au jour de la naissance et de la découverte de la peau, presque blanche, du nouveau-né.

  • La famille Pazoukou devant leur maison à Boda
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Quatre mois après sa naissance, en août 2015, Solange Pazoukou porte plainte auprès des autorités centrafricaines – après « avoir entendu à la radio une émission sur les abus sexuels ». Son dossier fait depuis le 4 septembre 2015 l’objet d’une enquête pour « viol commis par une personne abusant de l’autorité conférée par ses fonctions », confirme-t-on au Parquet de Paris. Si la contrainte physique ou la violence n’est pas démontrée, l’auteur restera passible d’atteintes sexuelles sur mineure de 15 ans par personne abusant de l’autorité conférée par ses fonctions et violation de consignes. Car Noella était très probablement mineure au moment des faits. Elle avait dix-sept ans, selon les premières conclusions des enquêteurs français. Seize ans, nous assurent sa mère ainsi que le Procureur de Boda, Olivier Mbombo Mossito.

Solange installe une chaise à l’ombre des arbres qui marquent le bout de sa parcelle. Puis, elle étend ses jambes fatiguées par les six heures de route ensablée qu’elle vient d’affronter à l’arrière d’une moto, pour les besoins de son petit commerce. L’homme qui a mis sa fille enceinte ? La grand-mère d’Elie explique qu’elle est « trop religieuse » pour souhaiter qu’il soit condamné. Elle veut simplement le retrouver « pour qu’il puisse reconnaître son enfant et s’en occuper ».

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JUSTINE BRABANT

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Article publié sur Médiapart le xx.xx.2017
Article publié sur MotherJones le xx.xx.2017

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